Contrat à impact social : nouvel outil de financement du développement ?

28 Juil 2020 | Économie Sociale et Solidaire, Sociétés à mission | 0 commentaires

Nouvel outil financier, le contrat à impact social peut être mis en place dans un pays émergent ou en développement pour financer des politiques publiques d’intérêt général. Décryptage de cet outil avec Julien Sciau, chargé d’affaires à l’AFD.

Les contrats à impact social (CIS), ou Social Impacts Bonds, sont un nouveau produit financier ayant pour objectif de mobiliser des financements privés au service de politiques publiques sociales d’intérêt général, notamment pour la mise en place de programmes de prévention en matière de santé, d’éducation ou de justice. À ce jour, une centaine de CIS ont été mis en place dans le monde, la plupart au Royaume-Uni ou aux États-Unis, mais aussi dans des pays émergents et en développement. On parle alors de Development Impact Bond (DIB).

Financer aujourd’hui des actions de prévention en matière de santé, d’éducation, de justice ou encore de réinsertion peut permettre aux pouvoirs publics d’éviter des coûts futurs de prise en charge des bénéficiaires de ces programmes (hospitalisations, écoles spécialisées, emprisonnement, etc.). Néanmoins, l’impact final et futur de ces actions de prévention comportant par nature une part d’aléa, les financements des programmes de prévention s’apparentent à des investissements risqués pour les pouvoirs publics qui ont tendance à les délaisser dans un contexte de contrainte budgétaire. Les CIS ont vocation à faire assumer au secteur privé les risques d’échec de ces programmes contre rémunération. Cela consiste à mettre en place un contrat qui définit d’une part les montants nécessaires au financement par des investisseurs privés et d’autre part des objectifs de réussite. Ces derniers permettent de déclencher le remboursement et le paiement de primes aux investisseurs par les pouvoirs publics.

Historique des Social Impact Bonds

Le premier CIS a été structuré au Royaume-Uni en 2010. Il s’agit d’un programme de lutte contre la récidive à destination d’hommes condamnés à des peines de courte durée au sein de l’établissement pénitentiaire de Peterborough. À leur sortie, ces anciens détenus ont bénéficié d’un suivi personnalisé et de l’appui de différentes associations, afin de faciliter leur accès à des logements, à l’emploi ou encore à des traitements de lutte contre la dépendance aux drogues et à l’alcool. Le programme, d’un coût total de 5 millions de livres sterling (environ 5,5 millions d’euros), avait pour objectif de toucher 3 000 personnes et visait une réduction de 7,5 % du nombre de récidives. Il a été financé par des investisseurs privés essentiellement animés par une motivation caritative. Le remboursement du programme était effectué par le ministère de la Justice du Royaume-Uni et le Big Lottery Fund. Le programme a atteint une baisse de 9 % du nombre de récidives et a dépassé l’objectif initial.

Suite à cette première expérience, plus de 110 CIS ont été lancés, essentiellement au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais également aux Pays-Bas, en Australie ou encore en Inde et au Pérou, pour un montant total de près de 400 millions de dollars. Selon le rapport Impact Bonds in Developing Countries du think tank Brookings, près de 25 CIS sont à l’étude dans les pays émergents et en développement.

Si les montants mobilisés demeurent limités à l’échelle des marchés financiers, les CIS, financés à l’origine par des fondations ou des investisseurs sociaux, commencent à intéresser le secteur bancaire classique. En France, un appel à projets a été ouvert du 16 mars 2016 au 30 janvier 2017 par le ministère de l’Économie et des Finances, avec pour objectif de développer cet outil financier sur le territoire. Une soixantaine de dossiers ont été déposés. Plusieurs banques françaises comme BNP Paribas, la Caisse d’Épargne, la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit Coopératif ou l’AFD se montrent intéressées par ce nouveau produit.

Un risque financier d’un nouveau type qui nécessite une évolution des méthodologies d’évaluation financière

Le développement du marché des CIS se caractérise à ce jour par une forte hétérogénéité des investissements réalisés, au regard de leur structuration juridique et financière. Le montage des CIS est réalisé au cas par cas. La structuration juridique et financière est souvent le résultat d’un compromis entre les différents acteurs en fonction de la temporalité et des objectifs des projets, du cadre juridique applicable dans les territoires sur lesquels ils sont déployés, et de la nature des investisseurs et des tiers payeurs. Contractuellement, les investissements peuvent ainsi prendre la forme de prêts, d’obligations, voire d’investissements en fonds propres. Cependant, quelle que soit la structuration retenue, la nature du risque financier associé aux CIS reste délicate à appréhender pour les institutions financières. Car l’analyse du risque de crédit est essentiellement réalisée sous le prisme de la capacité opérationnelle d’un tiers à délivrer un impact et non plus de la capacité de remboursement d’une contrepartie.

Or, l’évaluation du risque financier associé aux CIS représente un préalable indispensable aux banques pour le développement du produit, à la fois crucial pour guider leurs décisions d’investissement mais aussi pour sa gestion comptable et réglementaire. La construction de grilles d’évaluations solides et homogènes pourrait permettre d’accélérer la croissance du marché, voire la distribution de ce produit à plus grande échelle auprès des investisseurs. La problématique de l’évaluation des risques financiers associés aux CIS est également prégnante pour les banques de développement qui s’intéressent de plus en plus à ce produit, renommé Development Impact Bond (DIB) pour l’occasion.

Le rôle des banques de développement central pour les Development Impact Bonds

Les gouvernements des pays concernés parviennent avec difficulté à débloquer des budgets pour les dépenses et les investissements nécessaires au fonctionnement de leurs infrastructures sociales (hôpitaux, écoles, etc.). Les banques de développement pourraient jouer un rôle de tiers payeur, via des prêts souverains ou des garanties aux États dans lesquels se dérouleront les programmes de prévention afin d’assurer leur liquidité vis-à-vis des investisseurs en cas de succès du programme, ou encore via une substitution complète au tiers payeur si des budgets en subventions sont mobilisables. Elles pourraient également intervenir comme investisseurs seniors ou subordonnés aux côtés des institutions financières traditionnelles, notamment dans une première phase de lancement du produit dans les pays en développement et émergents.

Jusqu’à présent les bailleurs publics sont essentiellement sollicités pour intervenir en tant que payeurs finaux, notamment aux côtés de fondations privées, en substitution des gouvernements locaux. Les CIS passent ainsi d’une logique gagnant/gagnant reposant sur une rémunération du risque pour les investisseurs et des coûts évités pour le tiers payeur, à un mécanisme d’assurance, à travers lequel les bailleurs publics s’assurent d’obtenir un niveau prédéfini d’impact pour chaque euro dépensé.

La complexité de la mise en place de cet outil financier et la rémunération des investisseurs renchérit sensiblement le coût des programmes financés pour les bailleurs publics. ’Il est donc important pour les bailleurs publics d’apprécier au cas par cas la plus-value proposée par les DIB par rapport à un financement via une subvention directe, alors que plusieurs fonds de DIB sont en cours de structuration.

Il y a deux principaux avantages opérationnels des CIS et des DIB par rapport au recours à des subventions classiques. Le premier est la flexibilité accordée aux gestionnaires du programme  : elle permet  de modifier plus facilement le mode opératoire en cas de difficultés constatées, en coordination avec les autres parties prenantes du DIB (investisseurs et tiers payeurs). Le second avantage qu’il présente est  d’offrir des durées de financement plus longues (trois à huit ans), qui permettent aux opérateurs de mener des interventions à long terme auprès des bénéficiaires.

La deuxième problématique importante pour les bailleurs publics ’tiers payeurs dans un DIB est d’évaluer la nécessité d’avoir recours à une assurance par rapport au risque encouru d’échec du programme et à son coût additionnel. Si les projets pilotes développés dans des contextes difficiles représentent à première vue des bons candidats, il ne faut pas oublier que le risque et la rémunération qui y sont associés doivent être considérés à des niveaux acceptables par les investisseurs privés.

Trois types de programme sociaux pourraient à ce titre faire l’objet d’évaluation d’opportunité pour un DIB par les bailleurs publics : les projets innovants développés dans des environnements stables, les projets classiques mis en place dans des contextes difficiles (période de conflits ou post-conflits, crises humanitaires, etc.) ou les projets de taille importante (supérieur à 10-15 millions de dollars) permettant de réaliser des économies d’échelle sur les coûts de montage juridique et financier des DIB.

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